(Intervention faite dans le cadre du colloque "Récit de l'expérience thérapeutique", Edimbourg, 7-8 décembres 2017).
Abdelhadi ELFAKIR[1]
Ce que je cherche dans la
parole, c’est la réponse de l’Autre. Ce qui me constitue comme sujet, c’est ma
question.
J.
Lacan, Ecrits.
Pas sûr que l’on épuise
jamais sa question, mais à un moment, le désir de vivre retrouvé devient plus
fort qu’elle, il ne se laisse plus éteindre par le tourment de la question,
c’est comme s’il avait fait basculer la vie de son côté à lui.
N.
Malinconi, Séparation.
Psychanalyse, littérature
et retour
Il est évident que l’art d’écrire et la littérature en général, n’ont pas été sans incidence
sur l’avènement de la psychanalyse. L’écriture de Freud elle même, par sa
beauté, sa clarté, sa rigueur et sa vigueur démonstrative, a assuré à la
psychanalyse, une force de présence captivante, toujours convaincante et éminemment
joyeuse[2]. Et
elle continue encore à la lui
assurer à travers le temps, à travers les cultures et les traditions, à travers
les langues et les traductions. Le lecteur, même novice, y rencontre une pensée profonde, une méthode rationnelle,
une parole vraie, le stimulant à questionner la vérité inconsciente de son
propre désir.
L’inverse est aussi vrai. La psychanalyse n’a pas manqué de laisser
des traces profondes dans le domaine de la création littéraire. Néanmoins, l’intérêt
des écrivains pour la psychanalyse dépend de l’angle à partir duquel ils abordent
cette dernière : Schématiquement, la psychanalyse y est investie à partir de
deux positions différentes, voire divergentes :
- La première position consiste à réduire la psychanalyse à un
savoir psychologique transposable et applicable de l’extérieur dans l’opération
de création littéraire. On pense ici par exemple à l’expérience des surréalistes
qui pensaient pouvoir appliquer la méthode freudienne dans une sorte d’écriture
poétique automatique. Cependant, cette transposition « sauvage » de
la méthode et des concepts analytiques, contraste singulièrement avec
l’utilisation freudienne de la libre association dans le cadre de la cure,
tendue de bout en bout, sur le fil rouge du transfert. Freud relève cette
méprise des surréalistes, dans une de ses lettres à André Breton :
« Je reçois, écrit-il, force
témoignage de l’estime que vous et vos amis portez à mes recherches, mais pour
ma part, je ne suis pas en état de me faire une idée claire de ce que veut
votre surréalisme[3] ».
- La seconde position est celle d’écrivains qui prennent la
psychanalyse en tant que telle, c’est à dire en tant qu’expérience de discours mené
auprès d’un psychanalyste et dépliable à travers une parole singulière. Je
pense ici à certains récits représentatifs de cette position : Une saison chez Lacan de Pierre Rey, De la perte et d’autres bonheurs de Jean
Mattern, Séparation de Nicole
Malinconi, l’enfant bleu de Henry
Bauchau, et bien sûr, Les mots pour le
dire de Marie Cardinal. Ces auteurs vont porter l’exposé du cas clinique,
comme on va le voir un peu plus loin avec Les
mots pour le dire, à la hauteur d’une œuvre littéraire. La psychanalyse et
la littérature se retrouvent ainsi à un point ultime de leur rencontre.
Déjà dès les débuts de la psychanalyse, Freud n’a pas manqué
de relever le fait que ses cas cliniques se lisaient comme des fictions : « Je
m'étonne moi-même, écrit-il à Fliess,
de constater que mes observations de malades se lisent comme des romans et
qu’elles ne portent, pour ainsi dire, pas ce caché sérieux, propre aux écrit
des savants. Je me console, ajoute-t-il, en me disant que cet état de
choses est évidemment attribuable à la nature même du sujet traité et non à mon
choix personnel[4] ». Ainsi,
c’est le dévoilement analytique de la vérité inconsciente qui impose à Freud de
romancer le récit de cas cliniques
et c’est ce qu’il a mis en exercice dans chacune de ses observations
ultérieures. Et s’il le fait à chaque fois, c’est justement parce que
l’écriture romancée est celle qui convient le mieux à l’exposé du cas et au
dévoilement analytique de la vérité inconsciente. Mais à mon sens, c’est bien
cela que les psychanalystes après Freud n’ont jamais réussi à faire, à
l’exception de quelques rares analystes touchés par la grâce de l’écriture
poétique[5].
Jacques Lacan, lors de sa relecture du cas « Dora »,
rend un hommage appuyé à Freud, dans la mesure où le récit de ce dernier rend
parfaitement compte de la vérité de la cure de Dora, au point que le récit se
confond avec cette vérité. Autrement dit, le progrès de la cure de Dora et le
récit de Freud se trouvent en parfaite adéquation. Lacan souligne alors que
Freud est parvenu à faire passer dans le récit du cas la force convaincante qui
résulte de la cure. Et il va même trouver dans ce procédé freudien,
l’illustration d’une convergence convaincante entre littérature et
psychanalyse.
C’est aussi le cas, à mon sens, des récits littéraires évoqués
plus haut. Dans ces récits il ne s’agit pas d’exploiter extérieurement le
matériau analytique mais d’écrire d’une manière qui préserve à la littérature
l’action de sa métaphore poétique et à la psychanalyse le tranchant de son
acte.
Les auteurs de ces récits, tentent de tenir compte de la psychanalyse
non pas comme une somme de connaissances transposables, mais comme épreuve subjective
de la vérité du désir et des effets de cette vérité sur l’analysant-écrivain
lui-même. « Il ne suffit pas, écrit
Jean Mattern, de comprendre la théorie de Freud du refoulement pour savoir
comment alléger le poids de sa souffrance ou de son malaise. Le mien était
grand à dix-sept ans, et la découverte du concept freudien du refoulement –
aussi forte impression qu’il ait pu faire sur moi – n’y changea rien. Elle
ancre néanmoins ma conviction que les outils pour comprendre un jour ce que je
ne comprenais pas, résidaient dans la mise en œuvre de ce savoir freudien. La
passion pour la littérature me l’avait fait connaître et si j’ai pris le chemin
de la cure une quinzaine d’années plus tard, c’est sans doute aussi parce que
ma compréhension de la pensée de Freud dans son commentaire de texte, m’avait
indiqué un chemin[6] ».
Dans cette position, donc, il s’agit d’une écriture littéraire
qui parvient le plus souvent avec bonheur, à mettre en récit poétique, une cure
analytique qui est une expérience de parole, tenue sous transfert à un analyste,
soutenue par une demande de savoir adressée au lieu de l’Autre, orientée par
l’éthique du bien dire qui « ne dit pas où il est le bien[7] ».
Dans Les mots pour le
dire, on voit précisément comment l’analysante se double parfaitement de
l’écrivain qu’elle était, et toutes les deux, combinant leurs géni créateur,
rendent compte, avec style poétique et finesse clinique à la fois, d’une
expérience analytique menée à son terme. Elles témoignent aussi de la façon
dont les symptômes psychopathologiques peuvent rebrousser en une œuvre
d'art.
Temps d’un récit,
temporalité d’une analyse
Tout cela, le récit de Marie Cardinal nous le révèle dans une chronologie
particulière. Une chronologie qui n’obéie pas à l’exposé linéaire d’événements
vécus. Cette chronologie obéie à une temporalité correspondant au déroulement propre
d’une analyse qui, elle, vise dans le présent de la séance, à historiciser le
passé pour le transvaser en devenir[8]. C’est
ce que d’ailleurs Freud a mis en exergue à l’orée de la psychanalyse, dans une
lettre à Fliess en disant : « je commence à comprendre que la nature
apparemment interminable du traitement est déterminé par une loi et dépend du
transfert[9] ».
Cette loi qu’évoque ici Freud et qui détermine le traitement, ne peut être à
mon sens, que la loi du temps nécessaire au déploiement de la cure. C’est la
loi du temps logique explicitée Jacques Lacan.
Une psychanalyse commence, puis se développe et progresse plus
ou moins lentement, plus ou moins longuement, puis se termine. Ce temps logique
qui est propre à une analyse, est aussi valable pour toute une vie d’homme,
comme il est valable pour la simple phrase dans un discours. Le temps propre
d’une analyse, son temps logique, se décline dans un mouvement dialectique, en
trois séquences appelées par Lacan : « L’instant de voir », « le
temps de comprendre » et « le moment de conclure ».
La première séquence qui ne dure qu’un instant, se repère
généralement lors de ce qui est appelé les « entretiens
préliminaires ». Au début du traitement, l’analyste vérifie si le patient
est prêt à devenir analysant, c’est à dire s’il est prêt à remettre en question
ce qui, dans les réponses de l’Autre, aliénait son être et le fixait à des
positions d’objet. Aussi et surtout, L’analyste vérifie si le prétendant à
l’analyse est prêt à reconnaître la part de jouissance prise de ces positions
d’objets qu’il tient dans le désir de son Autre.
Mais il arrive aussi, que cet « instant de voir »
survienne chez un sujet en proie à la douleur d’exister et à la brulure du
questionnement, avant même de rencontrer un psychanalyste. C’est le cas de
Marie cardinal, la future analysante.
Dans le premier chapitre de son récit, Marie Cardinal égrène
un certain nombre de troubles, aussi invalidants les uns que les autres. Troubles
et souffrances qu‘elle exhibe et expose maintes et maintes fois à l’attention
sourde des différents spécialistes du corps et du mental : les uns
tentaient de réguler l’écoulement du sang et les agitations du corps par des
coups de scalpels et de bistouris ; les autres s’acharnaient à apaiser
l’agitation de l’esprit par des doses croissantes de tranquillisants et
antidépresseurs.
Mais rien n’y fait. Pire encore, Marie Cardinal, lors de ce
parcours thérapeutique long et couteux, acquière la conviction que les portes
de « la prison de la santé » allaient se fermer sur elle à tout
jamais. Elle a compris, qu’en se livrant au savoir de l’Autre médical et à sa
jouissance, elle allait payer le prix fort en devenant un être sans douleur
peut-être mais sans goût ni saveur non plus. Tous les experts qu’elle a
consultés parlaient d’elle, sur elle, pour elle, mais rarement avec elle.
« J’étais une potiche », à leurs yeux, dit-elle. Tout le monde exige
d’elle et lui recommande, mais personne ne sollicite son avis ni accueille sa
demande. Tout le monde lui dispense ses réponses, mais personne n’entend sa
question, perdu qu’elle était dans le brouhaha des réponses.
Durant la deuxième séquence du temps logique d’une analyse, le
« temps de comprendre », Marie Cardinal nous donne à entendre, à
travers la pelote des signifiants qu’elle défile, la division du sujet dans
toute sa splendeur : division entre ce qu’elle veut mais ne peut ;
entre ce qu’elle n’arrive pas à dire mais en dit trop et autrement que par la
parole ; entre ce qu’elle demande mais ne désire pas ; entre ce
qu’elle désire mais ne veut pas ; entre ce qu’elle veut mais ne reconnaît
pas et ainsi de suite.
C’est justement pour cela que les effets thérapeutiques ne
sont pas visés directement en analyse. Et quand ils surviennent c’est toujours de
surcroit, selon l’expression de Freud. Ils ne surviennent que par le détour de
l’investigation des processus inconscients[10] et passent nécessairement
par l’acte, comme dit Lacan, de donner
leurs sens aux symptômes, de donner sa place au désir qu’ils masquent[11].
Marie cardinal, par des mots simples, des mots clairs, des
mots vrais, des mots réels, elle dit et écrit au lecteur ce qui l’insupporte
dans ce qu’elle vit, ce qu’elle souffre dans ce qu’elle sent. Et tout en
avançant dans son analyse, elle compte les bons points : Elle voit les
symptômes tomber les uns après les autres. Ils tombent à l’instar des fantômes
qui perdent leur charme suite au dévoilement des mots secrets, tapis dans
l’inconscient. Mais si ces victoires contre ses souffrances étaient pour elle
un gain inestimable, ce qui compte le plus pour elle, c’était de donner
naissance à son être de désir, elle qui s’était vu naître déjà morte dans les
yeux de son Autre. Elle était le rébus vivant d’un avortement raté selon le
veux inassouvi de l’Autre maternel. Et elle progresse alors dans l’analyse, tête
levée, poings serrés, piétinant de ses talents les mots cadavérisés de son
passé, transperçant de ses paroles les horizons encore vitrés de son
devenir : « Je suis née avec la psychanalyse, dit-elle, je n'existais pas avant[12] ».
« Le moment de conclure » en fin est la séquence qui
vient donner un coup d’arrêt à ce temps plus ou moins long qui était le temps
de comprendre. Dans le cas contraire, une psychanalyse ne va pas vers sa fin
mais plutôt vers un arrêt prématuré ou au contraire vers une éternisation dans
un transfert irrésolu.
La fin d’une analyse n’est pas non plus calquée sur
l’allègement voire la disparition des symptômes. Il arrive d’ailleurs que la
souffrance des symptômes cède bien avant qu’une analyse puisse prétendre à sa
fin. A l’inverse, une analyse peut aboutir à sa fin malgré la persistance, voire
l’aggravation de certains symptômes.
C’est aussi le destin du transfert dont dépend le cours et le
progrès d’une analyse. Il peut bien se rompre en cours de route ou alors durer
à l’infini. Dans les deux les cas, qu’il se rompe ou qu’il s’éternise, il n’y a
point d’analyse. Ce qui est le propre d’une analyse c’est sa fin, et ce qui spécifie
la fin d’une analyse, c’est que le transfert s’amenuise, voire se dissout selon
l’expression de Freud. La destitution de l’analyste de la position du sujet
supposé savoir dans laquelle l’a placé l’analysant, se traduit par la
dissolution du transfert.
C’est pour cela qu’une fin d’une analyse ne peut être
programmable à l’avance. Ce qui va précipiter le sujet dans sa décision à
conclure, c’est son constat que désormais la révélation de la vérité du désir
inconscient prend pour lui la relève de la demande d’amour.
Le sujet à ce moment prend un large aperçu sur la position
d’objet qu’il occupait dans le désir de l’Autre. Il réalise à quel point s’évertuait-il à boucher le
manque de l’Autre par ses multiples demandes d’amour, par les bouts morcelés de
son corps, par les fragments dispersées de son être. Il ose alors traverser le
mur de l’angoisse qui transformait jusque là, pour lui, la figure de l’Autre en
une gueule de crocodile ou d’amante religieuse, suivant le métaphores de Lacan.
Après avoir pris son temps pour identifier son symptôme
chiffré dans son fantasme fondamental, le sujet finit par s’identifier à son
symptôme. Tout cela Marie cardinal le vérifie lors de la dernière année de son
analyse et en rend compte dans le chapitre 16 (sur 18 au total), chapitre
qu’elle ouvre avec le paragraphe suivant : « Pendant cette dernière année
de mon analyse, ma mère vivait son agonie. Je ne m’en doutais pas.
« Sur le brouillon de mon manuscrit, j’ai fait un lapsus,
j’ai écrit « ma mère vivait son analyse » au lieu de « ma mère
vivait son agonie ». Ce n’est évidemment pas par hasard si j’ai fait cette
confusion. Car je pense qu’une analyse bien conduite doit mener à la mort d’une
personne et à la naissance de cette même personne nantie de sa propre liberté,
de sa propre vérité. Il y a entre celle que j’étais et celle que je suis
devenue une distance inestimable, si grande qu’il n’est même plus possible
d’établir une comparaison entre ces deux femmes. Et cette distance ne fais que
s’accroitre car une analyse ne se termine jamais, elle devient une manière de
vivre. Pourtant, la folle et moi, nous ne sommes qu’une seule et même personne,
nous nous ressemblons, nous nous aimons, nous vivons bien ensemble[13] ».
Après ce chapitre, l’écriture ne s’étale plus, elle est plus
ramassée dans sa forme, précipitée dans sa formule. C’est la cas du chapitre suivant
qui est en même temps l’avant dernier. Ce chapitre 17 ne dépasse pas une
demi-page et c’est dans ce chapitre-paragraphe que se scelle, pour Marie
l’analysante, la fin de l’analyse en même temps que l’arrêt des séances. Elle commence
d’abord par décrire les environs du cabinet du psychanalyste dans un style qui
a l’air de vouloir en finir le plus rapidement possible : « L’impasse
une dernière fois, écrit-elle, ses
petites maisons serrées les unes contre les autres, ses pavés disjoints, ses
trottoirs crevés, la grille dans le fond, les marches dans le jardinet, la
salle d’attente Henri II, le bureau, la gargouille au bout de sa poutre, le
divan, le petit homme énigmatique ».
Une partie du contenu de ce court paragraphe n’est pas sans
nous rappeler les deux premières pages du livre où Marie Cardinal explorait
lentement pour la première fois, il y a déjà 7 ans, les environs de ce même
cabinet qu’elle s’apprête maintenant à quitter définitivement et précipitamment.
Ainsi, la fin d’une expérience rappelle et recouvre le début d’une aventure.
Ces deux événements se font écho dans les mêmes termes quasiment, mais cette
fois-ci, l’évocation des lieux est faite de façon ramassée, pressée, décidée à
en découdre : « Docteur, dit-elle, je vais vous régler. Je ne
reviendrai plus. Je me sens capable de vivre seule maintenant. Je me sens
forte. Ma mère m’avait transmis la chose, vous m’avez transmis l’analyse, c’est
un équilibre parfait, je vous en remercie… Au revoir, docteur ». Elle
accompagne ces quelques propos fermes et irrévocables par un commentaire de
quelques lignes seulement, qui nous la montre tourner le dos au psychanalyste,
se dirigeant à la hâte et d’un pas décidé vers le monde qui
l’attend : « sacré petit bonhomme, pense-t-elle, il sera resté
masqué jusqu’au bout ! La porte, fermé dans mon dos. Devant moi l’impasse,
la rue, la ville, la terre et un goût de vivre et de construire gros comme
elle ».
Conclusion est ainsi faite : plus de peur donc, le sujet
renait à la vie. Le dernier chapitre, le chapitre 18, en rend compte d’une manière
extrêmement ramassée. Il se réduit à une seule phrase que voici
: « Quelques jours plus tard, c’était mai 68[14] ». En une phrase, on
glisse ainsi, comme sur une bande de möbius textuelle, de la scène de
l’analyse, e de la scène du subjectif et du récit, vers la scène du collectif.
Marie Cardinal témoigne ainsi et avec brio, comment un travail
analytique accompli, peut avoir lieu quand l‘analysant est décidé à en parcourir
les séquences logiques et aussi et surtout, comment ce travail peut aboutir, si
et seulement si, un analyste est disposé à ne pas se mettre au travers de cette
décision de l’analysant.
Envoi
Ce n’est donc pas étonnant que parmi la douzaine de romans
écrit par le même auteur, Les mots pour
le dire est l’ouvrage qui rencontre toujours une audience immense :
rééditions multiples dépassant les trois millions d’exemplaires ;
traduction en une trentaine de langues ; une très belle adaptation au
cinéma en 1983 sous le même titre, puis en avril de cette année, il vient de
recevoir une adaptation au théâtre à Paris. C’est ainsi que cet ouvrage
poursuit sa destinée qui consiste à œuvrer, grâce à une écriture poétique,
pour rendre la parole analytique désirable et transmissible.
Et ce n’est pas étonnant non plus que, depuis
une vingtaine d'années, dans le cadre de ma fonction d'enseignant
universitaire, je me trouve encore disposé avec grand plaisir à le faire
partager à mes étudiants en psychologie, qui, à chaque fois, témoignent
leur intérêt pour une telle œuvre dans leur approche de la clinique analytique.
Plus encore, et par une sorte de charme indéfectible, je me
trouve lancer, avec un plaisir toujours accrût, dans la traduction de ce récit en
langue arabe, traduction qui s’ajoutera à la trentaine dont il a déjà fait l’objet.
Et qui sait ! Peut-être que cette traduction fera le bonheur de quelques
autres lecteurs dans ces contrées déjà versées dans la tradition des lettres
depuis des siècles mais qui n’ont pas encore, à mon sens, savouré suffisamment ce
que la cure analytique peut avoir de vertueux sur les plans subjectif et
intellectuel.
A travers un plaisir double, voire triple, les lecteurs de
cette civilisation très tourmentée de nos jours, apprécieront dans leur langue,
ce que nous ont légué les analysants-écrivains tels que Marie cardinal : l’art
d’écrire avec vérité et poésie, le récit d’une analyse qui contribue à transmettre
le goût et l’élan pour une cure analytique.
Bibliographie
BAUCHAU Henry, L’enfant
bleu, Paris, Actes sud, 2004.
CARDINAL Marie, L’inédit,
Grasset, (Le livre de poche), 2012.
CARDINAL Marie, Les mots pour le dire, paris, Poche, 1975.
CHAPSAL Madeleine, Ce
que m’a appris Françoise Dolto, Paris, Fayard, (Le livre de poche), 1994.
FREUD Sigmund, BREUER Joseph. (1895), Etudes sur l'hystérie, Paris, PUF, 2000.
FREUD Sigmund, « Lettre du 16 avril 1900 », La naissance de la psychanalyse, Lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans, Paris,
PUF, 1956.
FREUD Sigmund, Cinq
psychanalyses, Paris, PUF, 1992
FREUD Sigmund, « Quatre lettres à André Breton », Œuvres complètes, Psychanalyse, XIX
(1931-1936), Paris, PUF, 1995.
LACAN Jacques, « Intervention sur le transfert », Ecrits, Paris, Seuil, 1966.
LACAN Jacques, Le
séminaire, Livre I, (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, Paris,
Seuil, 1975.
LACAN Jacques, « Acte de fondation », dans Autres écrits
LACAN Jacques, (1953), « Fonction et champ de la parole
et du langage en psychanalyse », dans Ecrits,
Paris, Seuil, 1966, p. 229.
MALINCONI Nicole, Séparation,
Editions Les Liens qui Libèrent, 2012.
MATTERN Jean, De la perte
et d’autres bonheurs, Paris, Gallimard, 2016.
PORGE Erik, Transmettre
la clinique psychanalytique ; Freud, Lacan, aujourd’hui, Ramonville Saint-Agne, Eres, (Point hors-ligne), 2005.
REY Pierre, Une saison
chez Lacan, Paris, Robert Laffont, 1989.
[1] Psychanalyste, Maître de
conférence en psychopathologie clinique, Université de Bretagne Occidentale, Directeur
adjoint de la Composante Recherches en Psychopathologie ; Clinique du Lien
et Création Subjective (CRPC-CLCS), EA 4050, Site de Brest – France.
Traducteur en Arabe du Séminaire, livre
III, Les psychoses, de Jacques Lacan.
[2] Différemment
de Freud mais suivant sa trace et poursuivant son message, Jacques Lacan avec
son style compliqué, complexe et baroque, a largement contribué, surtout chez
les gens de lettres, non seulement à insuffler de la vie dans la découverte
freudienne laissée pour morte dans les pays des Amériques surtout, mais aussi à
transmettre le pertinent et le tranchant de cette découverte. La résistance
qu’oppose la lecture des textes de Lacan à tout lecteur pressé, ne relève ni de
difficultés d’écrire ni d’un complexe de maniérisme chez lui, mais elle plutôt
à mettre sur le compte d’un véritable style qui, affirme-t-il, « répond à l’objet même dont il s’agit. Puisqu’il
s’agit en effet de parler de façon valable des fonctions créatrices qu’exerce
le signifiant sur le signifié, à savoir non pas simplement parler de la parole,
mais de parler dans le fil de la parole, pour en évoquer les fonctions mêmes.
Et peut-être y a-t-il des nécessités de style qui s’imposent – la concision par
exemple, l’allusion, voire la pointe ».
[3]
Sigmund Freud, « Quatre lettres à André Breton », Œuvres complètes, Psychanalyse, XIX
(1931-1936), Paris, PUF, 1995, p. 301.
[4] Sigmund Freud,
Joseph Breuer, (1895), Etudes sur
l'hystérie, Paris, PUF, 2002, p. 127
[5] Je pense particulièrement ici à
Serge Leclaire dans Démasquer le réel,
Paris, Seuil, 19
[6] Jean Mattern, Op. Cit., p. 40-41
[7] Formule de Jacques Alain Miller
dans J. Lacan, Télévision, Paris,
Seuil, 1973, p. 36.
[8]
« L'histoire n'est pas le passé, souligne
Jacques Lacan. L'histoire est le passé pour autant qu'il est historisé dans
le présent... Ce dont il s'agit, c'est moins se souvenir, que réécrire
l'histoire.... Le fait que le sujet revive, se remémore, au sens intuitif du
mot, les événements formateurs de son existence, n'est pas en soi-même
tellement important. Ce qui compte, c'est ce qu'il en reconstruit ». Le séminaire, Livre I (1953-1954), Les
écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, pp. 30-32
[9]
Sigmund Freud, « Lettre du 16 avril 1900 », La naissance de la psychanalyse, Lettres à Wilhelm Fliess, notes et
plans, Paris, PUF, 1956.
[10] Dans
« Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) », Freud écrit : « Depuis
qu'ont été écrites les Etudes, la
technique psychanalytique a subi une transformation fondamentale. Le travail
avait alors pour point de départ les symptômes et, pour but, de les résoudre
les uns après les autres. Depuis j'ai abandonné cette technique, car je l'ai
trouvée totalement inadaptée à la structure si délicate de la névrose. Je
laisse maintenant au malade lui-même le soin de choisir le thème du travail
journalier et prends par conséquent chaque fois pour point de départ la surface
que son inconscient offre à son attention...» in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1992, p. 5.
[11]
Lacan, « Acte de fondation », dans Autres écrits, p. 239.
[12]
Entretien croisé avec Lorette Nobécourt, paru dans Elle en avril 1998.
[13]
Marie Cardinal, Les mots pour le dire,
Op., Cit., p. 257.
[14]
Marie Cardinal, Op. Cit., p. 279