Gibran - Les descendants de ma mère




Que voulez-vous de moi, descendants de ma mère ?
Voulez-vous que je construise pour vous, à partir de vos rendez-vous manqués, des palais sculptés de parole et des temples couvertes de rêves, où bien voulez-vous que je démolisse ce qu'ont construit les menteurs et les lâches parmi vous et que je dévoile ce qu'ont fomenté les incinères et les sournois ?

Que voulez que fasse, oh! Descendants de ma mère ?
Que je roucoule comme le pigeon pour vous satisfaire, où que je rugisse comme un lion pour me faire plaisir ?

J‘ai déjà chanté pour vous, mais vous n'avez pas dansé. Puis, je me suis lamenté devant vous mais vous n'avez pas pleuré. Voulez-vous alors que je chantonne et me lamente dans le même temps ?

Vos âmes se tordent de faim alors que le pain de la connaissance est plus répandu que les cailloux dans les fleuves, mais vous ne voulez pas en manger. Vos coeurs sont troublés de soif alors que les sources de la vie coulent comme des cours d'eaux autour de vos maisons, pourquoi alors ne buvez-vous pas ?

La mer connais les marrés, haute et basse. La lune est tantôt ronde tantôt incomplète. Le temps aussi bascule entre été et hiver. Mais le vrai ne disparaît ni ne change. Pourquoi alors cherchez-vous à défigurer le visage du vrai ?

Je vous ai appelé dans le silence de la nuit pour vous montrer la beauté de la lune et la majesté des planètes, mais vous avez sauté apeurés de vos lits, les mains sur vos épées et sur vos lances, en criant : "où est l'ennemi à anéantir". Mais au petit matin, quand l'ennemi est arrivé avec cavalerie et soldats, je vous ai appelé mais vous n'avez pas quitté votre sommeil, préférant continuer à suivre les cortèges de vos rêves. 

Je vous ai invité à monter au sommet de la montagne pour vous montrer les royaumes du monde mais vous m'avez répondu : "Nos parents et grand-parents ont vécus aux fins fonds de cette rivière. Ils sont morts sous ses ombres et sont enterrés dans ses grottes, comment peut-on alors la quitter et allez là où ils ne sont jamais allés ? »

Je vous ai dit : "Qu'on aille alors dans les plaines pour vous montrer les mines d'or et les trésors de la terre" et vous m'avez répondu : " dans les plaines courent les bandits et les brigands ».

Et j'ai dis : "Qu'on aille alors sur les côtes, là où la mer déverse ses richesses", mais vous avez répondu : "le vacarme des vagues terrifie nos âmes et le vertige des profondeurs pétrifie nos corps".

***

Avant, Je vous ai aimé, descendants de ma mère et cet amour m'a fait plus de mal qu'il vous a fait du bien. Mais maintenant je vous haie. Cependant, la haine ne fait plus que charrier les branchages asséchés et faire tomber les maisons délabrées.

Avant, j'avais pitié de votre faiblesse, descendants de ma mère et la pitié multiplie les vulnérables, augmente le nombre des trainards et n'apporte rien à la vie. Mais aujourd'hui, je vois votre vulnérabilité, ce qui fait trembler mon âme de dégout et la contracte de mépris. 

Avant, je pleurais sur votre humiliation et votre défaite. Et mes larmes qui coulaient comme du cristal pur, n'est pas parvenu à nettoyer vos innombrables tumeurs. Cependant, elles ont enlevé le voile de mes yeux. Elles n'ont pas pu assouplir vos corps pétrifiés, mais elles ont fait dissoudre la peur dans mon coeur. Mais aujourd'hui, je ris de vos malaises et mes rires sont des tonnerres terribles survenant avant la tempête et non pas à sa suite. 

Que voulez-vous de moi descendants de ma mère ?
Voulez-vous que je vous montre le fantôme de votre visage dans le bassins des eaux calmes ? Venez donc et regardez à quel point vos traits sont hideux. 

Venez, venez et contemplez comment la peur a transformé vos cheveux en couleur de cendre et comment l'insomnie a  transformé vos yeux en creux sombres. Venez contempler comment la lâcheté a caressé vos joues, les rendant comme des torchons froissés et comment vos lèvres, en vue de votre mort, sont devenues jaunes comme des feuilles d'automne.  

Que me demandez-vous, descendants de ma mère ? Plutôt, que demandez-vous à la vie alors que la vie ne vous compte plus parmi ses enfants ?

Vos âmes se convulsent entre les poignes des prêtres et des charlatans et vos corps tressaillent entre les canines des  tyrans et des despotes. Votre terre tremble sous les talons des ennemis et des conquérants. Qu'espérez-vous alors en restant ainsi plantés face au soleil ?

Vos épées sont couvertes de rouille, vos lances sont sans fer et vos boucliers sont recouvert de terre, pourquoi alors restez-vous debout dans le champ de bataille ?

Votre religion est hypocrisie, votre vie et prétention et votre au-delà est illusion, pourquoi donc tenez-vous à la vie alors que la mort et repos pour les misérables ?

*** 

Car la vie est de l'ordre de la détermination qui accompagne la jeunesse. Elles est l’effort qui poursuit l'âge adulte et de la sagesse qui suit la vieillesse. Tandis que vous, descendants de ma mère, vous êtes nés vieux grabataires, puis vos têtes se sont rapetissés et vos peaux se sont rétrécis. Et vous voilà redevenus enfants trainant dans la bout et se lançant des pierres. 

L'humanité est un fleuve de cristal coulant avec force et joie, transportant les secrets des montagnes vers les fonds des océans, alors que vous, descendants de ma mère, vous êtes des marécages pourris. Les insectes grouilles dans ses fonts, et dans ses alentours rampent les serpents. 

La psyché est une flamme bleue, puissamment et sacrément illuminée. Elle se nourrie de coupons et éclaire les visages des dieux. Alors que vos psychés, descendants de ma mère, ne sont que cendre saupoudrée par le vent sur les étendues de neige et dispersée par les tempêtes dans les fleuves et les rivières.

Je vous hais, descendants de ma mère, puisque vous haïssez la gloire et la puissance. 

Je vous méprise parce que vous vous méprisez vous-même.


Je suis votre ennemi par ce que vous êtes les ennemis des dieux mais vous ne le savez pas !!

Traduction de l'Arabe : Abdelhadi Elfakir
Le 20/11/2015