✪ Etats-limites et structures psychopathologiques en psychanalyse

 
 Article publié initialement dans Revue Internationale de Psychopathologie, n°24/1997, p. 143-152
 

Le plus grand mystère de la littérature analytique est bien que chaque analyste qui y concourt en publiant semble tenir pour nécessaire d’ajouter au vocabulaire psychanalytique un terme nouveau. Est-ce pour apporter sa pierre à l’édifice théorique ?
Michel Sylvestre [25].
   
         
Dans un précédent article [11], nous avons abordé la question des états-limites dans son rapport à la clinique psychanalytique. La question qui nous préoccupait lors de cette réflexion était de savoir si, pour ceux-là mêmes qui ont inventé cette catégorie nosographique, l’inanalysabilité des patients dits limites incombe-t-elle réellement à l’organisation psychopathologique propre au moi dit limite ou, au contraire, revient-elle au maniement psychologisant de l’expérience analytique.
 
Dans la présente étude, nous souhaitons compléter cette réflexion en soumettant à l’examen un aspect non moins important du rapport de cette catégorie au discours psychanalytique. Cette fois-ci notre analyse portera plus particulièrement sur les fondements conceptuels de cette catégorie en rapport avec la métapsychologie freudienne. Nous allons ainsi examiner l’originalité conceptuelle supposée de l’entité limite, considérée comme forme clinique nettement distincte. Autrement dit, la catégorie d’états-limites peut-elle ou non tenir place distincte, fondée théoriquement, dans le cadre de la nosologie psychanalytique solidement établie depuis Freud ? C’est cet aspect là que nous allons maintenant tenter d’élucider à travers l’œuvre de Bergeret, la figure de proue concernant la promotion de cette entité dans le champ psychanalytique de langue française.
 
Bergeret nous dit que ses recherches et ses développements sur l’organisation dite limite s’inscrivent dans la lignée à la fois des auteurs européens et américains qui travaillent sur la question. Il part de la constatation que chez les uns et les autres, l’organisation limite est, soit conçue comme éparpillée en des manifestations et modalités psychopathologiques, soit confinée dans un flou métapsychologique du fait de l’hypothèse qui n’admet aucune délimitation stricte entre les structures psychiques.
 
La première position que dénonce Bergeret est celle qui s’attelle à fragmenter l’entité dite limite en de multiples éléments pathologiques. Cette position peut trouver dans les travaux de Grinker et ses collaborateurs le représentant idéal.
 
Dans l’éventail des formes cliniques qui rentrent sous l’appellation « états-limites », ces psychanalystes rangent les personnalités dites narcissiques, paranoïaques ou schizoïdes, certains troubles psychosomatiques graves, des alcooliques, des pervers, des patients avec troubles psychosexuels, des schizophrénies dites pseudo-névrotiques, etc. En somme, ces auteurs non seulement pensent que les états-limites regroupent les entités psychopathologiques citées ci-dessus et constituent un syndrome caractérisé, selon eux, par un arrêt dans le développement des fonctions du moi, mais ils vont jusqu’à défendre l’hypothèse selon laquelle ces fonctions peuvent être appréhendées au niveau comportemental du patient. Ils redéfinissent alors ces fonctions en variables comportementales qu’ils s’emploient ensuite à répertorier à l’aide d’un système de traitement statistique.
 
D’autre part, pour Diatkine qui représente la seconde tendance que réfute Bergeret, il n’existe pas d’exclusion mutuelle entre les structures névrotiques et psychotiques, mais il y a un équilibre dynamique et un passage toujours possible d’une des structures à l’autre, passage opéré par la catégorie des prépsychoses.
 
 
NÉVROSE, PSYCHOSE ET ÉTAT-LIMITE ! ?
 
Si donc Bergeret dénonce dans la première position la trop grande fragmentation des modalités psychopathologiques se ramenant à la catégorie dite limite, il dénonce dans la seconde conception l’idée qui peut finalement conduire, d’une part, à « ne pas reconnaître l’existence de tout un système d’organisations liées entre elles et gravitant de façon autonome entre lignées névrotiques et psychotiques autour des aléas du narcissisme, et d’autre part, de laisser supposer qu’un même sujet peut successivement passer d’une structure psychique fixe à une autre structure au cours de son existence » [2].
 
Mais avant d’aborder la problématique métapsychologique de l’organisation dite limite disons tout d’abord que pour Bergeret les structures psychiques stables et strictement différenciées sont au nombre de deux : il n’y a, écrit-il, que « deux seules structures authentiques ; la structure psychotique d’une part et la structure névrotique de l’autre » [4].
 
Toutefois, Bergeret ne semble pas tenir à ramener toutes les manifestations pathologiques aux seules structures névrotiques et psychotiques « entre ces deux seules structures, écrit-il, une place est laissée pour d’autres entités cliniques non solidement organisées » [2].
 
Pour cet auteur donc, il n’y a pas que ces deux lignées structurelles bien distinctes, d’autres organisations psychopathologiques occupent une position intermédiaire. Il s’agit pour Bergeret des états-limites avec leurs aménagements et dérivés pathologiques qu’il propose comme la troisième lignée psychopathologique.
 
Le propre de l’état limite, ajoute-t-il, c’est de se présenter, au point de vue structurel, intermédiaire entre névrose et psychose [2].
 
Même si la lignée des états limites se présente comme une organisation plus fragile, mouvante et non stable par comparaison aux autres, elle n’en demeure pas moins, selon Bergeret, une entité spécifique, ne constituant nullement un terme de passage d’une des structures à l’autre. Tout en tâchant de préciser la spécificité de cette entité clinique, Bergeret tente aussi d’éviter à celle-ci une définition en creux ou en négatif, qui la désigne comme étant ni l’une ni l’autre des deux structures stables.
 
Pour ce faire, l’auteur situe l’arrêt du développement du moi limite entre la première et la seconde étape de sa formation, c’est-à-dire, explique-t-il, « avant qu’il n’y ait déjà constitution d’une structure au sens véritable et figé du terme »[4]. Cette lignée se caractérise alors par l’existence d’un traumatisme affectif précoce dont l’intensité n’est pas suffisante pour opérer dans le moi des fixations psychotiques et le plonger dans la voie de la psychose, mais la force de ce traumatisme psychique est suffisante pour entraver l’engagement du moi dans son évolution œdipienne normale. Pour Bergeret, ce traumatisme « correspond à un émoi pulsionnel survenu dans cet état de moi encore trop inorganisé et trop immature sur le plan de l’équipement, de l’adaptation et des défenses » [4].
 
Ce traumatisme précoce que Bergeret situe préférentiellement à la seconde sous-phase du stade anal, joue le rôle de ce qu’il appelle « le premier désorganisateur » de l’évolution psychique du sujet. A la suite de ce traumatisme, l’évolution libidinale se trouve entravée et engagée dans une sorte de pseudo-latence qui présente ce que l’auteur qualifie de « tronc commun aménagé de l’état-limite ».
 
Et Bergeret de se lancer dans la description d’un certain nombre de syndromes cliniques à la limite de la névrose et d’autres à la limite de la psychose et qui constituent, selon lui, l’évolution finale de ce qu’il appelle le tronc commun aménagé. Par la suite, l’aménagement de l’organisation limite s’oriente dans une des évolutions stables, c’est-à-dire, vers l’un ou l’autre des aménagements ; caractériel ou pervers dont les défenses sont aussi stables qu’originales.
 
Quant à l’aménagement caractériel, Bergeret le scinde en trois formes pathologiques que représentent la névrose de caractère, la psychose de caractère et enfin la perversion de caractère.
 
Dans ce paragraphe nous nous limiterons à l’examen de la réflexion de l’auteur à propos des deux premiers, laissant pour le paragraphe suivant l’analyse de la place que réserve Bergeret à la perversion dans son œuvre.
Ce qui est qualifié de névrose de caractère de l’état-limite ne présente pas, selon l’auteur, un conflit entre le Surmoi et le ça, comme dans la névrose, mais une incomplétude narcissique. Par conséquent, il la place en dehors de structure névrotique car, écrit-il :
 
II s’agit d’un état-limite qui recherche davantage de stabilité en « jouant à la névrose » alors qu’il n’en a pas les moyens structurels, génitaux et œdipiens [3].
 
Ces états-limites à la limite de la névrose peuvent, d’après Bergeret, prendre des formes pseudo-obsessionnelles qui se singularisent par un besoin d’estime plutôt que par un besoin de punition. Ils peuvent aussi se manifester sous des formes pseudo-hystériques proches de l’hystérie de conversion ou de l’hystéro-phobie. En somme, pour l’auteur, ces cas-limites constituent des organisations pseudo-névrotiques « où le niveau génital, écrit-il, n’est visiblement pas atteint et où la menace dépressive perce distinctement derrière le symptôme » [3].
 
La psychose de caractère chez l’état-limite désigne, pour Bergeret la difficulté du sujet à évaluer convenablement la réalité et non pas le déni plus ou moins total de cette réalité comme ce qui se passe chez le psychotique. L’état-limite est amené ainsi non pas à se détacher de la réalité mais simplement, pense l’auteur, à « commettre des erreurs d’évaluation portant sur les côtés désagréables pour le narcissisme présentés par de tels aspects objectifs de cette réalité » [3].
 
Ce domaine psychopathologique on ne peut plus mouvant et vacillant entre névrose et psychose, constitue selon Bergeret le champ « des états-limites et de leurs divers aménagements plus ou moins bien réussi ». De tels états ont pour base la dépression qui constitue le danger essentiel contre lequel ce genre de patient lutte en priorité. Le facteur dépressif que l’auteur place à la base de ce qu’il nomme tantôt « lignée narcissique » tantôt « lignée dépressive limite » peut-il être cliniquement et conceptuellement suffisamment pertinent pour pouvoir insérer rigoureusement ces états dans le cadre de la métapsychologie freudienne ? Bergeret est-il effectivement parvenu à promouvoir une théorie rigoureusement freudienne sur ce qu’il appelle « l’économie profonde particulière aux états-limites en les séparant radicalement sur le plan structurel des modes de fonctionnement mental de type névrotique ou psychotique » [5] ?
 
Pour donner une esquisse de réponse, nous ne pouvons que souscrire aux justes remarques de Dujarier qui malheureusement n’en tire pas, sur le plan métapsychologique, de conclusions conséquentes. Quand on lit les observations cliniques de Bergeret, écrit Dujarier :
 
" On a très souvent l’impression d’avoir affaire à des névroses comportant, il est vrai, d’importants éléments prégénitaux. Mais ne sommes-nous pas habitués à rencontrer par exemple, des névroses hystériques et hystéro-phobiques dont les fixations orales vont de pair, précisément avec des tendances dépressives ? (...) La culpabilité existe bien chez l’hystérique mais elle est inconsciente (...) On risque souvent de se laisser tromper par l’absence de culpabilité consciente, de penser que le niveau œdipien n’a pas été atteint, et de parier à tort d’une problématique purement narcissique et préœdipienne, alors qu’il s’agit de névrose au sens le plus classique. De même en reprenant le cas de Maurice qui nous est présenté (...) Pour illustrer la notion de « dépression essentielle » et le concept de « lignée dépressive limite », beaucoup d’analystes parieraient sans doute de dépression névrotique [10].
 
 
L’ESCAMOTAGE DE LA STRUCTURE PERVERSE
 
Les états-limites qui forment une organisation astructurelle mais plus ou moins stable et solide regroupent, au dire de Bergeret « un certain nombre d’entités qui ne constitueraient pas des "structures" au sens propre du terme » [1] et il range là pêle-mêle « perversions, maladies de caractère, états psychotiques et dépressions » [1]. Pour Bergeret donc, la perversion n’est pas une structure psychique. Elle n’est appréhendée, tout au plus, que sous forme d’entités nosographiques ; comme aménagement pervers ou dans le cadre d’aménagements caractériels.
 
Aux yeux de l’auteur, ce qui caractérise le pervers de caractère, c’est que pour celui-ci, les autres ne peuvent avoir ni intérêts propres ni investissements autres en dehors de lui et de ce que peut gratifier son narcissisme.
 
L’aménagement pervers correspond pour Bergeret à ce qui est qualifié à tort de structure perverse puisque ce qui est désigné dans la théorie freudienne de structure perverse n’est pour l’auteur qu’un aménagement tirant son origine du tronc commun de l’organisation limite. C’est par ce biais qu’il tente de fonder ce qu’il appelle « l’originalité structurelle commune et constante rencontrée chez toutes les variétés d’états-limites » [5]. Ainsi, les perversions se voient du même coup retirées de leur statut structurel et introduites dans le champ sans limites des cas limites. En évacuant la perversion de son statut de véritable structure freudienne, Bergeret essaie du même coup de bâtir ce champ sur le concept de déni qui originairement et depuis Freud, fonde et délimite la perversion en tant que structure psychopathologique. Mais en lisant Bergeret ne trouvons-nous pas en présence de classifications nosographiques et d’explications étiologiques qui semblent emprunter leurs arguments à la psychanalyse freudienne, mais qui font résolument l’économie des implications logiques qu’implique le fonctionnement des processus inconscients ?
 
Dans l’aménagement pervers et dans les états-limites en général, il n’existe pas, selon Bergeret, d’organisation vraiment œdipienne. Dans les états-limites le complexe d’Œdipe est sauté et il en résulte une fixation préœdipienne qui conduit à une pseudo-latence très prolongée. Ce qui, partant de là, spécifie tout cas limite, c’est donc la fausse maturation du moi et par voie de conséquence son organisation œdipienne. Mais ce schématisme œdipien qui semble fournir le fondement à la théorisation de Bergeret n’est-il pas en fait, et selon la remarque judicieuse de Fédida, que « l’effet d’optique d’une théorie analytique dé-dialectisée et réduite à une conceptualité biopsychologique de la croissance et du développement (anhistorique) » [12].
 
Conséquemment à cette conception génétiste et environnementaliste autour de la conflictualité psychique, les concepts freudiens de clivage de moi et de déni de la réalité de la castration vont également se trouver repris dans une psychologie du moi taillée sur mesure et qui ne cède en rien sur son objectivisme adialectique. Il s’agit, écrit Bergeret, de :
 
La coexistence au sein de la personnalité limite de deux secteurs opérationnels du moi, l’un demeurant dans le cadre d’une classique adaptation aux données de la réalité et l’autre fonctionnant sur un mode beaucoup plus autonome par rapport à la réalité et essentiellement fixé aux besoins narcissiques internes, à l’anaclitisme rassurant. (...) Le moi se déforme dans certaines de ses fonctions et va opérer sur deux registres différents : 1 / adaptatif ; 2 / anaclitique. Tout le problème de l’organisation limite se jouerait dans les rapports entre ces deux systèmes adaptatifs et défensifs à la fois [1].
 
Voilà donc que le tour est joué pour les concepts freudiens qui ser­vent pertinemment de base dans la délimitation de la structure perverse, puisque ceux-ci se voient ainsi coupés de leur tranchant psychanalytique pour devenir le réfèrent théorique à la conflictualité socio-affective supposée derrière toutes les variétés des dits états-limites. Leur utilisation se trouve dans ce cadre expurgée de ses implications les plus originales en rapport au fonctionnement des processus inconscients. Comment peut-on aboutir à repérer l’articulation structurelle de chaque entité clinique, si on ne tient pas compte en priorité du rapport qu’entretient tout sujet avec la fonction phallique dans la mesure où c’est autour du déploiement de celle-ci que s’articule la structuration subjective du sujet ? On ne peut plus expressément, Freud écrit que d’une manière générale :
 
" Le manque de pénis est conçu comme le résultat d’une castration, et maintenant l’enfant se trouve au devoir de s’affronter à la relation de la castration de sa propre personne (...). L’on ne peut apprécier à sa juste valeur, la signification de la castration qu’à la condition de faire entrer en ligne de compte sa survenue à la place du primat du phallus " [15].
 
Freud nous n’enseigne-t-il pas ainsi que toute position subjective n’est possible à saisir qu’à travers le repérage du rapport du sujet à la réalité de la castration ? C’est la manière dont le sujet se trouve positionné vis-à-vis de cette réalité qui détermine pour lui le mécanisme central et l’articula­tion de son économie psychique.
 
Pour Bergeret, dans ce qu’il appelle l’aménagement pervers tout comme dans la perversion de caractère, il s’agit d’un déni très focalisé et très partiel de la réalité. C’est-à-dire que si dans l’aménagement pervers, le déni porte sur « le droit de la femme d’avoir un sexe authentique bien à elle », chez l’état-limite-pervers-de-caractère, ce mécanisme, pense-t-il, porte simplement sur « le droit des autres à posséder un narcissisme bien à eux » [3]. Curieuses formulations en effet qui tout en se réclamant psychanalytiques n’hésitent pas – dans la définition du mécanisme du déni – à écarter les incidences du rapport à la castration dans l’économie subjective et forger des notions pour le moins inconséquentes comme ce que l’on vient de voir. Car pour Freud, en effet, et pour la psychanalyse qui s’en réclame, le déni porte sur la castration de la femme et non sur un fantaisiste « droit de la femme d’avoir un sexe authentique bien à elle » comme le prétend Bergeret. Tout comme pour le refoulement ou le rejet de la réalité de la castration, si le déni porte sur quelque chose, ça ne peut être sur un supposé « sexe authentique de la femme » ou un quelconque « narcissisme des autres » mais plutôt sur la question de l’attribution du phallus à la mère. Concernant le fétichisme qui constitue aux yeux de Freud le paradigme de la perversion, celui-ci précise :
 
" Il y a des arguments et des arguments de poids en faveur de la position du clivage du fétichiste, quant à la castration de la femme. (...) C’est dans la construction même du fétiche qu’aussi bien le déni que l’affirmation de la castration ont trouvé accès [14].
 
Le déni est le mécanisme dont use le pervers pour tout à la fois refuser et reconnaître les effets de l’absence du phallus chez la mère et par là-même pour s’épargner la possibilité de sa propre castration.
 
 
LA PSYCHANALYSE PSYCHIATRISEE
 
Comment donc comprendre ces positions de Bergeret s’il n’y a pas à reconnaitre la démarche éclectique qui les fonde ? D’ailleurs, l’auteur nous explique, on ne peut plus explicitement, la visée éclectique de sa démarche qui consiste, dit-il, « à ne laisser dans l’oubli aucune des modalités psychopathologiques habituellement décrites par le psychiatre classique ». Et il ajoute :
 
" Je ne cherche pas à présenter dans ce travail, en des termes simplement différents, les classiques principes de catégorisation structurelle psychiatrique. Mon effort tend au contraire vers une synthèse nouvelle à la fois plus rationnelle, plus profonde et plus globale, tout en m’acharnant à n’employer que des termes connus et éprouvés. Le langage psychanalytique, comme le langage psychiatrique, possèdent déjà un vocabulaire assez riche et souvent varié pour qu’en l’utilisant avec plus de rigueur on n’éprouve nul besoin de recourir à de supplémentaires néologismes [1].
 
Certes, nul intérêt dans la frénésie schizophrénique à inventer d’infinis et d’indéfinis néologismes, mais nul intérêt non plus à se cantonner à pétrir un meltmg-pot notionnel n’aboutissant à la fin qu’à une confusion entre discours fondamentalement incompatibles : le discours psychanalytique d’une part et celui psychiatrique de l’autre.
 
Terminons cette réflexion avec une question non moins importante ; le déni par Bergeret de la structure perverse au profit des dits aménagements limites ne dépend-il pas en fin de compte du recours systématique de l’auteur à la clinique psychiatrique comme cadre de sa définition de la structure psychique considérée comme système ou modèle organisationnels ?
 
Il est clair que pour Bergeret, la structure psychique n’est donc pas un agencement surdéterminé des processus inconscients centré autour de l’épreuve de la castration, mais elle n’est tout au plus, comme il le reconnaît expressément, qu’une «hypothèse abstraite dont les composantes peuvent varier d’un auteur à un autre » [5]. Et c’est à « l’enquête psychologique », ajoute-t-il, que revient la charge de révéler « les modes de fonctionnement pratique des structures dans la vie relationnelle de chacun» [5]. En outre, pour l’auteur, toute structure psychique n’est saisissable qu’à travers deux modes principaux : soit sous la forme de maladie, soit sous la forme de caractère.
Partant donc du principe qui veut que la définition de la structure psychique dépend de l’imagination de chaque auteur et partant aussi du fait que la saisie de cette structure doit obligatoirement passer par les aspects caractériels et symptomatiques, comment donc ne pas aboutir, si on suit l’auteur, à un effritement des structures névrotique et psychotique et perverse en infinies entités symptomatiques. Le tout regroupé ensuite dans la nébuleuse notionnelle d’état-limite armée enfin mais d’une façon maladroite de mécanismes détournés de leur cadre freudien aussi bien métapsychologique que clinique.
 
• BIBLIOGRAPHIE
 
[1] Bergeret, J., La personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod, 1974 ; cit. p. 67, 124,138.
[2] Bergeret J,, Limites des états analysables et états-limites analysables, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1974, n° 10 ; cit. p. 56, 67, 137.
[3] Bergeret J. (sous la direction de) Abrégé de psychologie pathologique, Paris, Masson, 1976; cit. p. 199, 200, 201.
[4] Bergeret J., La faille primaire de l’imaginaire chez les états-limites (réflexion sur un cas d’enfant pseudo-latent), in Revue française de Psychanalyse, 1978, n° 5-6 ; cit. p. 187, 188, 198.
[5] Bergeret J., Les états-limites : essai d’une conceptualisation économique et structurelle, in Perspectives Psychiatriques, 1979, n° 70 ; cit. p. 14.
[6] Bergeret J., Les états-limites, point de vue du pronostic et de la thérapeutique, in Études Psychothérapiques, 1979, n° 4.
[7] Bergeret J., Faiblesse et violence dans le drame du dépressif contemporain, in Narcis­sisme et états-limites, Paris, Dunod, 1987.
[8] Diatkine R., Les états-limites ou les limites de la classification nosologjque en psychiatrie, in Études Psychothérapiques, 1979, n° 4. [9] Dor J., Structura et perversions, Paris, Denoël, 1987.
[10] Dujarier L., États-limites et dépression : critique des conceptions de J. Bergeret sur « une lignée dépressive limite », in Revue française de Psychanalyse, 1979, n° 5-6 ; cit. p. 1093.
[11] Elfekir A., États limites et discours psychanalytique (O. Kernberg. et la question de l’inanalysabilhé des patients dits cas limites), in Etudes Psychothérapiques, 1993, n° 8, p. 161-180.
[12] Fédida P., Clinique psychopathologique des cas-limites et métapsychologie du fonctionnement limite, in Psychanalyse à l’Université, 1979, n° 17 ; ÔL p. 77.
[13] Houmoy O., Les cas-limites : psychose ou névrose ?, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1974, n° 10.
[14] Freud S., Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1981 ; cit. p. 137.
[15] Freud S., La vie sexuelle, Paris, PUF, 1982 ; cit. p. 115.
[16] Gori R., L’hystérie : état-limite du savoir ou l’hystérie au présent, in L’Évolution Psychiatrique, 1982, 1, 47, p. 181-189.
[17] Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1986.
[18] Lacan}., Les séminaires, liv. Œ : Les psychoses, Paris, Seuil, 1975.
[19] Maleval J.-C., A propos de la symptomatologie « limite » de l’Homme aux loups, in Études Psychothérapiques, 1979, n° 4.
[20] Maleval J.-C., Folies hystériques et psychoses dissociatives, Paris, Payot, 1981.
[21] Maleval J.-C., Du rejet de la castration chez l’Homme aux loups, in Actes de l’école de la cause freudienne, 1982.
[22] Maleval J.-C., Les variations du champ de l’hystérique en psychanalyse, in Hystérie et obsession, Paris, Navarin, 1985.
[23] Mercadier D., Question de critique et d’étique-Kmite, in Études Psychothérapiques, 1979, n° 4.
[24] Pontalis J.-B., Bornes ou confins ?, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1974, n° 10.
[25] Silvestre M., Demain la psychanalyse, Paris, Navarin, 1987.